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Sauver sa peau

Sauver sa peau

1. Une triste histoire de fesses

Le voilier file à toute allure, fend l’onde agitée, saute gaiement dans le creux des vagues. Grisé d’air et de vent, Patrick se donne tout entier au mouvement, à l’enthousiasme du moment, aux soubresauts de l’embarcation. Quelle sensation de liberté extraordinaire! Il y a belle lurette que Patrick rêve de voile, et la réalité s’avère décidément à la hauteur de ses espérances. Les vacances s’annoncent des meilleures.

Après son après-midi sportif, Patrick a rendez-vous à Saint-Sauveur, chez un ami. Malgré l’heure avancée, il prolonge son plaisir. Toutefois, le soleil pâlit à l’horizon, et il doit enfin se rendre à l’évidence. Accoster, se transférer dans son fauteuil roulant, s’habiller, se préparer pour la soirée... pour une personne avec une lésion médullaire, tout est toujours un peu plus long. Déjà six heures! Patrick se hâte. Vite, la douche, le pantalon, puis il saute dans son auto. Ce sera une soirée de rires et de causeries, de véritables retrouvailles pour deux vieux amis que les aléas de la vie ont séparés. Ce soir-là, Patrick rentre à l’auberge légèrement enivré.

Sa gaieté cède bientôt à l’inquiétude tandis qu’il s’occupe de ses soins personnels : deux « belles » lésions décorent ses fesses. Il passe en revue sa journée de rêve : l’eau, sa peau mouillée, le « tapecul » de l’après-midi, la douche rapide (à peine le temps de se sécher!), la soirée d’immobilité dans son fauteuil roulant (trop absorbé dans le moment présent, il a bien sûr négligé ses transferts (Passage du corps d’une surface à une autre, par exemple du lit au fauteuil roulant. ) de poids!), la chaleur humide... Aucun ingrédient ne manque pour que la peau des fesses cède à l’agression soutenue de la pression, de la friction et de l’humidité. Il ne manquerait plus qu’un coup de soleil ou le sel de la mer!

Cet homme habituellement bien discipliné raconte : « Ce n’était déjà pas beau à voir. Pendant cette première journée de vacances, j’avais complètement oublié de surveiller ma peau. Insouciance totale! Malheureusement, ma peau ne prend pas de vacances. Je n’ai plus de sensibilité ni de motricité dans les membres inférieurs. La perte de masse musculaire et l’immobilité dans mon fauteuil mettent de la pression sur la peau de mes fesses. 

Bien sûr, je ne ressens rien. Chez une personne qui a toute sa sensibilité, les nerfs (Cordon blanchâtre, généralement cylindrique, qui relie un centre nerveux (moelle, cerveau) à un organe ou à une structure organique. Les nerfs moteurs commandent l’activité musculaire; les nerfs sensitifs transmettent aux centres nerveux les stimulus concernant la sensibilité générale. ) sensitifs agissent comme des détecteurs et sonnent l’alarme dès que la pression a trop duré. Personne ne reste immobile très longtemps sans que le besoin de bouger ne se manifeste. Ce mouvement est essentiel pour maintenir une bonne circulation sanguine dans les parties de la peau qui subissent le poids du corps.

Je suis tétraplégique; ma lésion médullaire ne permet pas au signal d’alarme d’atteindre mon cerveau. D’autres personnes ressentiraient de la douleur alors que je ne sens rien. De plus, ma peau est particulièrement vulnérable, car j’ai perdu beaucoup de masse musculaire dans les fesses. Sans les exercices de déplacement de poids et une attention quotidienne, le risque de lésion devient critique. »

Voilà le hic. Les vacances créent une rupture avec le quotidien. Il faudrait être deux fois plus vigilant alors que tout porte au contraire vers l’oubli. 

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